Entretien avec Peter à l'Automne 2001 (par Uriel)

Il aura fallu plusieurs années pour installer RAISON D'ÊTRE en tant qu'institution dans cette scène Dark Ambient mal connue et un peu paria, dominée par l'armada scandinave du label Cold Meat Industry. A présent que Peter Andersson et son projet font figure de référence, l'occasion est rêvée de venir prendre la température auprès de l'intéressé et de causer de choses et d'autres, en particulier du charismatique petit dernier "The Empty Hollow Unfolds". Voici une occasion rêvée, pour les uns d'approcher le visage humain du mythe RAISON D'ÊTRE, pour les autres de prendre un premier contact avec cet univers qui semble si lointain.


Peter Andersson1. J'imagine que la plupart de nos lecteurs, n'étant pas familiers avec RAISON D'ÊTRE, seraient ravis d'avoir un petit aperçu de ta carrière jusqu'à aujourd'hui…

J'ai commencé RAISON D'ÊTRE en 1991 comme un outil d'expression et d'introspection. Je faisais de la musique seul depuis 1988, mais c'est seulement en 1991 que j'ai commencé à composer avec sérieux selon un concept et une pensée nouveaux. Je pense que ma musique exprime ce qu'il y a au plus profond de moi, une réflexion de mon esprit. Lorsque j'écoute mes compositions, je dois être capable, par examen intérieur et méditation, de reconnaître mon Moi. RAISON D'ÊTRE (comme tous mes autres projets) est une partie de mon accomplissement personnel, et du mûrissement de mon psyché. Donc, à travers ma musique, j'essaie de me comprendre moi-même en vue d'atteindre mon but qui est de ressentir une plénitude, une harmonie avec moi-même et avec le monde. Ce procédé est désigné comme la quête d'individualité et s'appuie sur les théories du psyché de Carl Gustav Jungs.
D'une certaine façon je pense que je suis né dans cet univers musical dans lequel j'évolue aujourd'hui. J'ai commencé à écouter et acheter ma propre musique à un très jeune âge. Le premier groupe auquel j'ai vraiment accroché était KRAFTWERK, puis j'ai beaucoup écouté TANGERINE DREAM, Jean-Michel Jarre et Klaus Schülze. J'adorais leur son à la fois méditatif et électronique et souvent je m'amusais à dépeindre en imagination les paysages que leur musique générait. A la suite de quoi j'ai découvert la plupart de tous ces groupes industriels bien connus. C'était une scène époustouflante pour sûr mais il manquait encore quelque chose à mon goût : cet état recueilli bien particulier que peut engendrer la musique. Toutefois lorsque SPK a sorti "Zamia Lehmanni", j'ai trouvé ce genre de musique idéal pour moi, et par bonheur nombre de groupes ont suivi. Je pense que tous ces groupes m'ont influencé chacun à leur manière lorsque j'ai commencé avec RAISON D'ÊTRE. Et puis je dois une fière chandelle à mon frère aîné car c'est lui qui, en premier lieu, m'a guidé vers ce style de musique.
RAISON D'ÊTRE est né de deux choses : l'acquisition conjuguée d'un synthétiseur et d'un ordinateur, et le besoin pressant de m'aérer l'esprit. J'ai sorti de nombreuses cassettes, quelques-unes unes sous le nom de RAISON D'ÊTRE et d'autres pour d'obscurs projets parallèles et éphémères. Peu après j'ai acheté du matériel de meilleure qualité, comme un séquenceur de samples. J'ai bossé sur une démo officielle que j'ai fait parvenir à Cold Meat Industry. Cette démo a été éditée en 1992 par le sous-label de Cold Meat, appelé Sound Source, et portait le titre "Après Nous le Déluge" - plus tard en 1999 elle apparut à nouveau sur le double CD compilation "Collective Archive". Après la démo le label a souhaité que je travaille sur du matériel pour un CD, ce qui a donné "Prospectus I" en 1993. J'ai donc signé un contrat avec CMI et j'en suis depuis à cinq albums.

2. Sorti de RAISON D'ÊTRE, j'ai vu que tu es impliqué dans toute une ribambelle d'entités musicales qui me sont - à ma grande honte - inconnues pour la plupart. Peux-tu brièvement répertorier l'ensemble de ces projets, ce qu'ils représentent pour toi et quel est ton degré d'implication dans chacun d'eux ?

J'ai conduit et je conduis toujours une multitude de projets, dont les plus importants à côté de RAISON D'ÊTRE sont STRATVM TERROR, ATOMINE ELEKTRINE, NECROPHORUS, BOCKSHOLM, SVASTI-AYANAM et PANZAR. Je les gère tous individuellement, excepté STRATVM TERROR que je partage avec un ami très proche, et BOCKSHOLM qui est le fruit de ma collaboration avec DEUTSCH NEPAL, un autre groupe de CMI.

STRATVM TERROR est mon projet de Noise industriel. Tobias Larsson s'en occupe avec moi depuis 1993. Jusque là nous avons produit deux démos et trois CD :
- "Germinal Chamber", démo sur Old Europa Café
- "The Only True Septic Whore", démo sur Slaughter Prod.
- "Pariah Demise", CD sur Old Europa Café
- "Pain Implantations", CD sur Malignant Records
- "Genetic Implosion", CD sur Old Europa Café

NECROPHORUS est comparable à RAISON D'ÊTRE, mais le son est plus synthétique, doux et sensitif. NECROPHORUS est apparu à l'origine en 1991, une sorte de frère jumeau de RAISON D'ÊTRE, et dispose de quatre réalisations à son actif :
- "Underneath The Spirit Of Tranquillity", CD sur Cat's Heaven
- "Yoga", 10" Picture Disc sur Yantra Atmospheres
- "Drifting In Motion", CD sur Crowd Control Activities
- "Gathering Composed Thoughts", CD sur Dragon Flight Recordings

ATOMINE ELEKTRINE est mon projet de Space Ambient électronique et horrifique, il existe depuis 1992 et j'en ai sorti trois CD :
- "Elemental Severance", CD sur Cold Meat Industry
- "Archimetrical Universe", CD sur Yantra Atmospheres
- "Atom Xtension", CD sur Yantra Atmospheres

SVASTI-AYANAM était un projet temporaire qui a existé aux alentours de 1993, et était dédié à la musique tibétaine mêlée à des éléments tribaux, ethniques et industriels. Le tout est disponible sur un CD appelé "Sanklesa", sorti sous Crowd Control Activities en 1998 seulement.

BOCKSHOLM est donc ma collaboration avec Lina Baby Doll de DEUTSCH NEPAL. Le projet traite de notre enfance commune dans la ville de Boxholm. Un album verra le jour prochainement sur Entartete Musikk/Yantra Atmospheres.

PANZAR est mon projet le plus récent, et explore des paysages sonores plus rythmiques et industriels. Un 7" single est sorti tout dernièrement qui porte le titre "Inerta/Tensor".

3. "The Empty Hollow Unfolds" amène l'expérimentation assez loin, provoquant des collisions entre de calmes plages atmosphériques et des sons industriels monstrueux. D'abord, comment caractériserais-tu l'évolution de RAISON D'ÊTRE vers un tel album ? Le considères-tu comme une fin en soi, une sorte d'épitaphe de ce que tu as fait jusque là ?

En quelque sorte le dernier album est toujours plus ou moins un résumé de ce que j'ai fait auparavant, mais celui-ci a élevé RAISON D'ÊTRE à une nouvelle étape de son développement. Chaque album à ses propres caractéristiques, son propre son. Je pense en fait que mon avant-dernier album, "In Sadness, Silence And Solitude", est assez proche, mais que toute la différence réside dans le côté cauchemardesque de "The Empty Hollow Unfolds", ce qui te donne l'impression d'une nouvelle direction. J'ai envie de voir l'ordinaire de la vie se doubler d'expériences palpitantes. C'est cette volonté qui est reflétée dans "The Empty Hollow Unfolds", et je trouve que c'est justement une expérience palpitante que d'en traverser l'écoute.

4. Es-tu d'accord si je dis que la musique sur ce CD est évocatrice d'un âge post-apocalyptique, oscillant entre déclin mécanique et organique avec en toile de fond la nudité poignante de paysages vastes et désolés ?

Oui. (NDUriel : ça a le mérite d'être clair…)

5. Cette usine vide et rouillée qui continue à tourner dans le silence sur "The Wasteland" est chargée de sens et de sous-entendus. T'arrive-t-il de songer à un temps où, l'humanité étant sur le point de disparaître, les machines seront abandonnées à une domination inutile et grotesque ? Quand vois-tu cela devenir une réalité ?

Cela peut très bien arriver, mais je ne crois pas être là pour en être le témoin, dommage ou pas, va savoir… C'est pour l'heure de la pure science-fiction, mais il faut bien voir que pas mal de choses qui étaient de la science-fiction il y a des années, sont aujourd'hui une réalité.

6. Au fait, as-tu déjà lu le livre "Le Nuage Pourpre" de M.P. Shiel ? Ce livre génial conte avec une froide neutralité la chute progressive dans la démence d'un homme lorsqu'il réalise qu'il est l'unique survivant planétaire d'un holocauste biologique… A mon avis, "The Empty Hollow Unfolds" pourrait être le parfait complément auditif de ce livre culte. Est-ce le genre de sentiments que tu veux insuffler dans l'esprit de l'auditeur : l'isolement, le désespoir, le doute ? D'autres choses ?

Je n'ai pas lu le livre, donc je ne saurais dire si mon dernier album en est le soundtrack adéquat. Ma musique transporte des impressions diverses, mais se focalise en priorité sur la tristesse, la solitude, et des sentiments tels que ceux que tu as mentionnés.

7. Assez de considérations abstraites. Peux-tu à présent m'éclairer sur le type de matériel que tu utilises pour donner corps à tes cauchemars ? As-tu une large banque de sons à ta disposition ? D'où tires tu par exemple les chants monastiques ?

J'enregistre moi-même la plupart des sons, je crée mes samples et ainsi je me bâtis ma propre banque sonore. Tous les sons métalliques des deux derniers albums proviennent de deux grosses tôles de metal. Je sample les sons et je les travaille dans un éditeur de samples pour leur donner l'aspect que je désire. Les moines sont des samples de CD de chant grégorien auxquels j'ajoute de l'effet ou que je mets en boucle au besoin.

8. Quelle est ta technique d'intégration de samples et de boucles, au juste ? J'ai l'impression d'écouter rarement deux fois une partie identique, donc je présume que tu apportes un soin particulier à garder ta musique toujours en mouvement, non ?

Oui, je veux que la musique évolue au sein des compositions. La plus grande partie de la musique consiste en des samples, bouclés ou pas, et il existe quelques "trucs" très simples pour faire toujours évoluer un court sample. De plus je commence à utiliser de plus en plus de samples longs. Un sample de 3 minutes n'est pas inhabituel, cela permet de ne pas trop répéter les sons.

9. As-tu déjà joué live avec RAISON D'ÊTRE ? Quel type de personnes vient aux shows, et à quoi ressemble l'atmosphère ?

J'ai joué live de nombreuses fois depuis 1996. Beaucoup de gens différents se pointent, que ce soient des fans d'Industriel, de Metal, d'Ambient synthétique ou tout ce que tu voudras les appeler. L'atmosphère dépend pour beaucoup du lieu où se déroule le concert. Il m'est arrivé de jouer sous une tente, il est difficile de créer une bonne atmosphère sous une tente jaune et bleue. Mon rêve serait de jouer dans des catacombes ou des vieilles ruines.

10. Maintiens-tu de bonnes relations avec les autres groupes suédois de Cold Meat Industry (ARCANA, BLOOD AXIS…) ? Que penses-tu de leur musique, et en général quel regard portes-tu sur l'évolution de la scène Dark Ambient ?

Je connais personnellement la plupart des groupes de CMI (je ne considère pas BLOOD AXIS comme un groupe CMI), et la plupart de ces gens sont fort sympathiques et agréables à côtoyer. Toutes nos réunions dans le cadre des festivals CMI, environ une fois par an quelque part en Europe, donnent lieu à un maximum de fun. Je possède presque toutes les réalisations CMI et j'en aime la majorité.
De plus en plus de gens s'approchent désormais de ce type de musique, et CMI vient de signer pas mal de nouveaux groupes suédois qui puisent leur inspiration de leurs aînés et des groupes industriels en général. Cette année est sorti un album CMI très intéressant par un groupe appelé LETUM, tu devrais y jeter une oreille. Je crois sincèrement que ce genre de musique existera toujours quelque part et ne tombera jamais à sec, il y aura toujours de nouveaux projets de Dark Ambient. Ce n'est pas qu'une mode passagère.

11. T'a-t-on déjà demandé de réaliser des musiques de film ? Si oui, quel genre de film était-ce et qu'as-tu retiré de l'expérience ? Si non, est-ce une de tes ambitions pour le futur ?

J'ai fait la musique pour un film suédois appelé "Tulpa", et j'ai eu quelques autres offres, mais je ne sais pas si cela va déboucher sur quelque chose. En général le réalisateur m'appelle, je lui dis que je suis OK, et puis c'est lui qui décide au final. Pour "Tulpa", j'ai écrit toute la musique à partir du script. Je n'ai pas encore vu la moindre image du film. Je pense que le procédé inverse est plus commun : faire la musique d'un film déjà tourné. Mon objectif serait de gagner ma vie grâce à la musique, donc je serais ravi de pouvoir travailler à faire la musique de films ou de téléfilms, mais il faut que ce soient des films avec une thématique sombre. Le "problème" lorsque l'on fait de la musique pour le compte d'une tierce personne, c'est que la liberté est limitée. Les producteurs exigent ci ou ça, donc je n'ai pas le pouvoir exclusif de décider comment la musique doit sonner. Mais d'un autre côté, lorsque tu as quelque chose de concret sur quoi te concentrer, il peut être plus facile de composer. Composer pour RAISON D'ÊTRE est au contraire une chose très abstraite, mais ça a ses avantages parfois.

12. Tu sais sans doute que j'écris pour un webzine orienté Metal. As-tu des relations avec cette musique ? En général, considères-tu qu'il existe une passerelle entre le Metal et la musique atmosphérique, et serais-tu prêt à sauter le pas si tu avais l'opportunité de participer à un projet Metal intéressant ?

Je n'ai pas beaucoup d'attaches avec la scène Metal, un peu plus toutefois que certains de mes amis qui écoutent ou jouent notre type de musique. J'ai déjà effectué des petits travaux pour le compte de deux groupes de Metal (intro, outro, remix). En fait je n'aime pas du tout cette musique. La seule raison pour laquelle j'ai accepté de re-mixer un groupe de Metal norvégien, c'est parce qu'ils m'ont donné l'opportunité de démembrer leur morceau et d'en faire quelque chose de bon. Ce remix sonne totalement différemment de l'original.
Je pense que les métalleux sont plus intéressés par les sons industriels que les fans d'industriel sont intéressés par le Metal.

13. Y a-t-il un successeur à "The Empty Hollow Unfolds" sur l'établi de travail ? Peux-tu dévoiler quelques détails ?

Je n'ai pas encore commencé à composer pour un nouvel album. Après "The Empty Hollow Unfolds", j'ai bossé sur la musique de "Tulpa". Cette musique sera disponible sur CD et ne devrait pas être considérée comme un album de RAISON D'ÊTRE, mais comme un soundtrack signé Peter Andersson. La finalisation du film a été retardée, mais dès que ce sera fait, la B.O. sortira dans le commerce. Ma prochaine sortie sera une compilation sur CMI. Elle couvrira mes différents travaux et comprendra probablement des titres de 9 de mes projets. Toute la musique y sera soit nouvelle, soit inédite sur disque. Le prochain album de RAISON D'ÊTRE verra sans doute le jour l'an prochain.

14. OK, ça suffit pour aujourd'hui, je te laisse conclure de la façon dont tu le souhaites…

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