Enid - "Nachtgedanken"
Germany - 1998 - CCP Records - 45'52
1. Silentium Obscuritate - 1'11
2. Institutio Immortales - 8'29
3. Of Wisdom's Shadows - 6'17
4. Aurora - 6'31
5. Nachtgedanken - 9'26
6. Art Of The Blacksmith - 4'28
7. Nebelthron - 2'02
8. Intransitority - 7'28

Line-up :
Martin Wiese : all instruments
Florian Dammasch : bass on #4 & management

Le moins que l'on puisse dire au sujet d'ENID, c'est que leur début de carrière n'aura pas déclenché l'unanimité des foules, et aura même entraîné une division que l'on retrouve aujourd'hui entre fans et détracteurs - ces derniers se donnant rarement la peine de constater l'évolution musicale effective. En effet ce premier album, quasiment privé de promotion par CCP (tout comme le suivant), fut considéré par les uns comme un premier trait de génie annonciateur d'une révolution dans le metal symphonique, par les autres comme un des disques les plus ridicules à avoir jamais vu le jour… Il faut dire qu'ENID n'avaient pas dès le départ tous les atouts en poche pour rallier à leur cause le petit monde intransigeant des métalleux puristes. Ce n'est pas tous les jours que se présente un groupe qui veut se faire assimiler "metal" mais qui ne dispose pas de guitares ni même de batterie. Avouez que ça peut prêter à l'incrédulité. Si l'on remonte l'histoire d'ENID on comprend un peu mieux cet état de fait. Le duo s'est formé à l'instigation de Florian Dammasch, émérite journaliste de la presse metal allemande (Legacy, Ablaze…) qui a repéré à juste titre en la personne de son camarade de lycée Martin Wiese un futur crack de la musique classique et du chant d'opéra. A partir de là Florian a joué de tous les artifices pour "corrompre" Martin, l'a gavé de SUMMONING et autres références jusqu'à ce que ce dernier craque et accepte d'aider Florian à lancer un projet Metal Fantasy différent de tout ce qui a pu se faire jusque là. Le problème c'est que Florian était encore un guitariste débutant et ne connaissait personne susceptible de venir former un line-up. Comme on ne laisse pas un talent aussi rare que celui de Martin s'évaporer dans la nature, la solution fut vite arrêtée : boîte à rythmes et effet de synthé pour reproduire tant bien que mal une distorsion de guitare… La matrice était en route, et son premier rejeton vit le jour en 1998 sous la forme de ce "Nachtgedanken". Aujourd'hui considéré comme un peu prématuré par son géniteur Martin, il n'en reste pas moins que cet album posait les bases de la patte ENID reconnaissable entre mille. Dès l'intro, Martin y faisait montre de ses aptitudes à superposer de multiples lignes de chant du grave à l'aigu pour reproduire un flamboyant effet de chœur. Puis cette mise en bouche s'efface et le clavier entre en action sur "Institutio Immortales", que je considère encore aujourd'hui malgré son côté obsolète comme un monument d'inventivité et peut-être le meilleur convoyage du panel d'émotions de l'artiste, de la colère (cavalcade baroque en ouverture sur fond de tempo Black Metal) à la douceur fluette de petites pièces de musique de chambre où perce un son de clavecin, pour terminer sur la contemplation émerveillée de longues plages de synthés atmosphériques relayées par la voix énigmatique de Martin, entre charisme et tristesse insondable. C'est à peu près la brochette d'ingrédients que l'on retrouve tout au long de l'album, excepté sur le bref "Nebelthron" qui est plus une private joke qu'autre chose en vue de railler le groupe BERGTHRON et sa tactique de coller des mélodies répétitives à des samples de bruits de la nature. Martin dépeint un monde allégorique où les états d'âmes les plus intimes composent le décor hurlant d'une odyssée introspective jusqu'aux visions et pensées recluses qui surgissent au cœur de la nuit ("Nachtgedanken"). Les notes et enchaînements qui jaillissent de ses doigts de compositeur en devenir traduisent déjà une grande fluidité et une cohérence totale, maîtrisée, la science de faire passer des échanges sincères sans dilapider toute son inspiration d'un seul coup dans un élan impulsif qui ferait de l'ombre à la solidité du morceau sur la durée. "Nachtgedanken" est riche de mélodies absolument charmantes qui invitent à l'abandon mais ne font pas totalement oublier les décharges d'intensité des passages plus péchus avec un chant hurlé aux effets intimidants. Des piques malicieuses de l'instrumental "Aurora" aux poussées d'adrénaline captivantes du magnifique titre éponyme, il faut absolument faire fi du son catastrophique et de l'impression un rien rustique qui émerge du timbre inhabituel de guitares synthétiques pour pouvoir s'immerger complètement dans un contenu artistique qui agit comme une toile d'araignée refusant de libérer sa proie une fois qu'elle l'a envenimée de ses effluves capiteuses. Avec son carillon de pendule, le morceau final "Intansitority" semble accueillir le rêveur vers son étape finale, le sombre chemin aléatoire hérissé de phantasmes oniriques qui dévoile ses pentes sans retour une fois minuit passée. De là à comparer "Nachtgedanken" à un "Alice Aux Pays Des Merveilles" version Fantasy Metal, il y a un pas que franchiront seulement les plus aventuriers et indulgents, ou bien ceux qui veulent une alternative à SUMMONING et en ont ras la carafe de tous ces groupes sans âme (cf. STORMLORD, RAVENTHRONE pour ne pas faire de délation…) qui font leur beurre avec des structures pré-fabriquées et un héroïsme de Super U masqué par des productions emporte tête. Cet album n'est qu'un point de départ et a assez mal vieilli surtout par rapport à ses deux successeurs, mais il est toujours bon d'aller se régénérer aux sources et de retrouver les saveurs candides d'une époque que le metal a délaissé pour de bon en professionnalisant de plus en plus son environnement et son accès.

Uriel : 75% (Avril 2002)



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