Steve Von Till - "As The Crow Flies"
USA - 2000 - Neurot Recordings - 43'45
1. Stained Glass - 6'48
2. We All Fall - 3'33
3. Remember - 4'14
4. Warning Of A Storm - 8'41
5. Twice Born - 4'08
6. Midheaven - 5'57
7. Shadows In Stone - 10'24

Line-up :
Steve Von Till : vocals & guitars
Kris Force : violin & background vocals
Annabel Lee : violin
Martha Burns : cello
Jackie Gratz : cello
Erika Little : background vocals

Que ceux qui ne connaissent pas Steve Von Till aillent s'aligner contre le mur là-bas au fond. Oui oui, ce mur-ci, avec les traînées rouges et les impacts de balles. Voilà vous y êtes, ne bougez plus et souriez… Tacatacatacatacatacatacatac !!!!!! Encore des volontaires qui ne connaissent pas Steve Von Till ? Bien, je présume donc qu'on est entre nous. Il ne reste plus qu'à s'installer confortablement et à laisser tourner ce disque pour bien sentir que l'on est placé en face de quelque chose de plus vaste qu'une petite infidélité à NEUROSIS. Maître de manœuvre des icônes du post-Hardcore psychotique depuis toujours, Steve Von Till a choisi d'empoigner sa guitare classique et de s'épancher en solitaire au service de compositions atmosphériques qui sont quelque part bien davantage qu'un contretype des déviations les plus sages de son groupe principal, même s'il est impossible d'éluder tout à fait le rapprochement. On retrouve entre les lignes de "As The Crow Flies" la noirceur et le traumatisme sous-jacents dans l'œuvre de NEUROSIS, lorsque même les instruments au timbre limpide que sont le violoncelle et le piano demeurent prisonniers d'une camisole de désarroi et ne délivrent que leurs harmonies les plus contrites. Le concours de Kris Force (AMBER ASYLUM) au violon n'est certainement pas étranger à la bulle de sinistrose qui encellule la musique, tant la demoiselle est experte en ambiances chauves et asphyxiantes avec son groupe. La guitare de Von Till parle de pertes et de ruines avec une constance poignante, une simplicité prédestinée qui ouvre une perspective très proche du personnage et de ses soucis. Une musique qui ne prend que si on est disposé à ne pas se presser pour l'apprécier, à ne pas en attendre de grandes gerbes spectaculaires, et si les conditions de l'écoute sont réunies, une musique qui se glisse dans les veines avec la délicatesse presque impalpable d'une étoffe de soie et la langueur torpide de l'absinthe, une musique qui possède le pouvoir de mettre mal à l'aise tout en gardant l'esprit de l'auditeur à distance, au chaud dans un écrin de confort relatif. L'arrière-plan instrumental est confectionné de fibres souples et honnêtement interprétées. Des fragments de partition déliés, sobres mais d'une rare élégance dans leur choix, qui s'entrecroisent pour former un fil fragile sur lequel ce chant caractéristique, tout à la fois douceâtre et terriblement usé, s'escrime à faire de l'équilibrisme nonchalant au nez et à la barbe de l'abîme, dans des sphères encore parcourues de chaleur, celle d'un foyer ou la vue réconfortante d'un enfant rieur. L'album s'apparente à une procession presque statique, chaque station comme un nouveau promontoire en surplomb d'un souvenir grave, d'une douleur lancinante. La beauté à vif de titres comme "We All Fall", "Twice Born" ou surtout le final "Shadows In Stone" oblige à s'arrêter et à baisser la tête par pure empathie, à la recherche de ces vieilles photographies enfouies en notre intérieur et qui nous rendent toujours si mélancoliques, un panorama de collines nues perdu dans la brume alors qu'une pluie battante fouette les carreaux, un jeu d'enfance aux joies confuses, le trouble rémanent qui hante une pièce familière autrefois vivante, aujourd'hui fréquentée par les fantômes du passé… Incarnation figée de l'honneur et de la tristesse d'un homme auxquels chacun peut s'identifier à son propre degré, "As The Crow Flies" restera avant tout comme l'un des plus forts témoignages de la musique acoustique et intimiste.

Uriel : 90% (Décembre 2002)



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